Lumière des enfances mortes. Les tableaux de Carole Duvillier. Signé François Delpeuch (pompeuch@yahoo.fr). Magazine Artension janvier-Février 2014.
La fraîcheur des couleurs étonne, l’apparente naïveté du sujet aussi : des enfants à l’école, au jardin, au goûter, des salles de classe vides. Pas de gigantisme ni d’épate, ici, mais un simple regroupement d’acryliques sur toile et d’huiles sur papier, en petit et moyen formats, humblement présentées. Puis le temps passe, dans la présence discrète et chaleureuse de l’artiste, Carole Duvillier, dont vous apprendrez plus tard que c’est une jeune maman de l’Essonne, et qui, pour l’instant, se tait, vous laissant regarder. Et vous finissez par vous rendre compte, avec une fascination un peu inquiète, que ces apparitions, sages et fragiles, déjà vous hantent.
Car ce sont bien des spectres, parfois désignés comme tels, épures au trait passant dans le décor, saisies dans la rapidité d’une pose, d’un geste, d’un flux, ou bien figures hiératiques au visage lisse, sans yeux ni bouche, et qui, pourtant, vous regardent, intensément… S’il fallait rationaliser le malaise vertigineux qu’elles vous inspirent, vous pourriez évoquer le contraste entre les coloris pastel et la raideur des postures, le clignotement des contours sous les coulures des à-plats qui effacent les silhouettes et les fondent dans une clarté de bonbon, une sorte d’anéantissement sucré. Vous pourriez aussi pointer du doigt de lourdes remontées d’inconscient, telle cette ombre à peine visible de nu féminin, à quatre pattes dans le couloir d’une maternelle (« c’est la maîtresse », susurre l’artiste avec un doux sourire), ou ces éclats tantôt rose fluo, tantôt cramoisis qui jettent comme une clarté de peep-show sur les costumes apprêtés des fillettes.
En y regardant de plus près, vous constaterez aussi, d’un groupe d’œuvres à l’autre, la radicalisation progressive d’une démarche créatrice qui, à l’anecdote de l’indice (l’ombre d’un nu) et au clin d’œil du symbole (le détail rose fluo, l’accessoire cramoisi), a substitué le dialogue de la ligne et de la tache et mis au premier plan de la composition les sujets humains qui y flottaient auparavant à l’état de traces.
Comme le confie Carole Duvillier, cet approfondissement de son travail est parti de la découverte, un soir, d’un vieil album de photos de famille, abandonné sur un trottoir : c’est en s’inspirant de ces clichés surannés qu’elle dit avoir trouvé le passage vers cette nouvelle manière qui intègre la pulsion à la pâte pigmentée et lui donne, enfin, une chair authentiquement picturale — ce point de bascule du dicible vers le visible. Du coup, les silhouettes des personnages ont acquis considérablement plus de corps et de présence, sans perdre pour autant leur pouvoir d’interrogation et de mise en demeure du regard qu’elles happent.
Il y avait là un pari risqué : montrer son œuvre dans son devenir. Sauf que tout est courageux chez Carole Duvillier et, en premier lieu, l’acceptation de l’enfance dans son ambivalence même, sa nature à la fois colorée et cruelle, et le choix d’assumer les moyens d’en rendre compte.